Aux forêts, pour la vie !
Danielle Bergeron nous propose un article qui illustre l’engagement des défenseurs de la forêt dont fait partie notre groupement. Il nous informe de l’actualité avec ses désastres mais aussi avec ses actions ainsi que des luttes et réussites historiques. On y apprend à mieux connaître le Morvan et les solutions pour en faire une terre toujours accueillante et agréable à vivre.
Merci Danielle !
C’est début août qu’a été lancé l‘Appel pour des Forêts vivantes signé par plusieurs dizaines d’organisations collectives dont Le Chat Sauvage.
Il s’agit de mobiliser les énergies au niveau national pour dénoncer les ravages causés par la conception extractiviste de la gestion des forêts et l’industrialisation de la sylviculture, ainsi que de faire pression sur les autorités afin d’inverser la tendance, en montrant qu’il existe des alternatives viables. Les actions actuellement prévues s’étendront sur une année en quatre étapes -une par saison-.
La première a eu lieu les 16 et 17 octobre, où des manifestations très diverses se sont déroulées dans tout le pays.
Dans le Morvan, des initiatives variées ont réuni tout le week-end les défenseurs des forêts vivantes à l’appel de différents groupements (dont le nôtre), collectifs et associations : visites en forêt, randonnée sur des sites dévastés, conférences, débats…
L’association Adret Morvan, créée en 2012 pour s’opposer à un projet de scierie/incinérateur géant dans notre région, et le collectif SOS FORÊT Bourgogne, qui existe depuis 2019 et dont fait partie Le Chat sauvage, ont appelé leurs membres et tous les habitants à venir planter, le samedi matin 16 octobre, des feuillus sur une coupe rase d’épicéas attaqués par le scolyte*, que le propriétaire prévoit de remplacer par du douglas (ou pin d’Orégon), encore une fois en monoculture.
Cette parcelle symbolise la dévastation engendrée par la monoculture de résineux qui n’a cessé et qui continue de s’étendre dans le Morvan depuis des décennies, aux dépens des forêts mélangées de feuillus autochtones. Ceci parce que « c’est l’industrie qui le demande ».
Les 25 hectares mis à nu se trouvent de plus sur le site d’un ancien oppidum celte, le Vieux Dun, commune de Dun-les-Places, dans la Nièvre. On peut y voir, surmontée d’une statue, la fontaine Saint-Marc -dotée d’un bassin gallo-romain- qui était, du Moyen-âge aux années 1950, un lieu de pèlerinage important, en pleine forêt. Au bas de la pente coule la rivière, la Cure. (voir sur notre site, rubrique Articles récents « Coupe rase du Vieux Dun »).
Deux lieux de rendez-vous successifs avaient été prévus afin d’organiser un co-voiturage vers l’endroit cible qui n’avait pas été annoncé à l’avance. Et les participants qui le pouvaient avaient apporté de tous jeunes arbres feuillus et des outils pour les planter.
Au deuxième point de ralliement, quatre gendarmes attendaient. Ils ont accompagné et surveillé l’action tout au long de façon, il faut le dire, plutôt débonnaire mais en prenant des photos -ou des films-. Il est vrai que, même positive et pacifique, il s’agissait d’une action de désobéissance civile,. Environ 90 personnes y ont participé.
Le Vieux Dun est au coeur du Parc naturel du Morvan, à près de 500m d’altitude et les « montagnettes » alentour sont presque intégralement peuplées d’arbres. Tantôt ce sont des feuillus qui moutonnent, avec leurs couleurs de début d’automne, tantôt des conifères qui hérissent les sommets.
Lorsqu’on quitte la route, un chemin d’apparence normale commence à grimper. Mais très vite, ce chemin se ravine, les ornières sont de plus en plus profondes, l’aspect de plus en plus désordonné. Quand on sait qu’il faut un siècle ou plus pour régénérer 1cm de sol forestier et qu’on se trouve aussi sur un lieu largement fréquenté par les randonneurs et visiteurs intéressés par l’histoire… Au bord du chemin, un panneau maculé de boue présente la fontaine Saint-Marc. Dessous, un autre panneau indique que des travaux forestiers en interdisent l’accès. Les cadres réservés aux noms et adresses des entreprises responsables du chantier et réalisant les travaux y sont restés vides.
Bientôt, quand s’ouvre le panorama, le regard embrasse un spectacle de désolation. Sur quel planète est-on tombé ? La terre de la vaste pente, presque entièrement mise à nue, est desséchée. Quelques lambeaux d’herbe verte survivent difficilement. Des souches grises émergent par ci-par là, desséchées elles aussi, avec autour d’elle les rémanents, branchages laissés sur place et destinés à être empilées en andains (lignes d’1 mètre ou plus de hauteur entre lesquelles on replante).
Vite, au travail ! sous l’œil vigilant des gendarmes alignés en travers du chemin.
Il y a des gens de tous âges, enfants et adultes. On s’organise pour planter, seul(e), à deux, en petit groupe. Chacun sa tâche, en alternance. Quelle chance ! Le soleil est resplendissant, après les brumes du lever du jour. Au milieu de ce paysage quasi lunaire, l’humeur est joyeuse, avec le bon goût de l’effort utile et partagé.
Chaque petit arbre est doté d’un tuteur qui permet aussi de le repérer. Certaines(e)s, pour arroser les plants, font des allées et venues jusqu’à la fontaine ancestrale au-dessus de laquelle Saint-Marc, imperturbable, contemple le paysage. Les enfants, très actifs, se sont regroupés en cercle pour planter.
Au total, plus de 500 petits arbres ont été plantés ce matin-là : chênes, hêtres, charmes, châtaigniers, érables, merisiers… Il est hélas bien peu probable qu’ils survivent, même si des conseils ont été donnés à ceux qui voudraient bien revenir sur le site pour s’en occuper : arroser, pailler le sol autour pour garder l’humidité, y mettre de la laine de mouton pour éloigner les chevreuils. De toute façon, ils risquent bien d’être broyés par les engins qui vont poursuivre l’exploitation.
Une courte vidéo est visible sur le site d’Adret Morvan accompagnée sur Youtube de plusieurs autres.
En fin de matinée, après les plantations, une vétérante de la défense des forêts, Valérie Bernardat, est venue au nom de l’association La Bresseille, alerter sur les dangers qui menacent une forêt historique de 200ha au sud du Morvan, celle du Mont Touleur, à Larochemillay, rachetée par des spécialistes du résineux, en particulier une société danoise qui prévoit pour commencer 10 ha de coupe rase. Une mobilisation est prévue sur place le 6 novembre. (Voir page d’accueil de notre site).
Une action comme celle de ce 16 octobre n’est bien sûr que symbolique et destinée à attirer l’attention de tous sur les enjeux de la gestion des forêts.
Veut-on comme en agriculture pousser jusqu’à l’absurde le productivisme, cette vision à court terme et destructrice, encore plus mortifère quand elle s’oppose au temps long qui est celui des arbres ?
On ne cesse et ne cessera de le répéter: la forêt n’est pas une usine à bois. Une plantation d’arbres d’une seule essence, tous du même âge, n’est pas une forêt. Couper des arbres de plus en plus jeunes est un non-sens sur tous les plans.
Ce ne sont pas les seulement les arbres qui pâtissent de l’exploitation forcenée, mais aussi les sols, les eaux, l’air, et tous les organismes vivants qui vivent dans les forêts
Cette façon de produire saccage les paysages, aggrave les effets des changements climatiques, favorise les maladies. Sur le plan humain, elle détruit des emplois, dévalorise les métiers du bois et leurs savoir-faire.
Il est toutefois prouvé depuis longtemps que d’autres méthodes de gestion, plus respectueuses de l’évolution naturelle des forêts, permettent leur durabilité et leur maintien en bonne santé, sans empêcher la rentabilité financière. Qui ne peut, bien sûr, être immédiate.
Nous n’aurons de cesse que de le démontrer.
*Le scolyte est un minuscule insecte ravageur qui pond sous l’écorce des arbres et les détruit rapidement en se nourrissant de leur sève. Sa prolifération est accélérée par le réchauffement du climat et la sécheresse , notamment dans les monocultures de résineux.
A l’automne 2020, le volume de bois scolyté en Grand-Est et Bourgogne-Franche-Comté depuis le début de l’épidémie, deux ans plus tôt, était estimé à environ 10 millions de m3, correspondant à quelque 30 000ha.
Le bois atteint reste utilisable, y compris dans la construction -ce qui permet de continuer à stocker le carbone- à condition d’être retiré et transformé très rapidement. Mais il est le plus souvent trituré.