Le 14 décembre, des membres du Groupement se sont retrouvés sur des parcelles du Chat Sauvage avec deux experts forestiers et deux charpentiers. But de la journée : repérer puis marquer avec un marteau forestier les arbres destinés à être prélevés. C’est ce qu’on appelle « le martelage ». Cet article rédigé par Danielle Bergeron décrit cette journée particulière pour le Chat Sauvage.



Le mardi 14 décembre a ouvert un nouveau chapitre pour le Chat sauvage : le prélèvement de bois dans les forêts acquises par notre groupement.

Même si – et nous insisterons toujours sur ce point – cette activité est appelée à rester marginale  au regard de nos objectifs essentiels de préservation des écosystèmes forestiers, elle n’est pas à prendre à la légère.

Et la belle journée passée sur plusieurs parcelles en compagnie de deux membres du cabinet de Tristan Susse – l’expert forestier qui a établi nos premiers Plans Simples de Gestion, empêché ce jour-là par la maladie -, Christophe Duchêne et Jérôme Monot, nous a bien convaincu de la complexité de la chose. Surtout si l’on veut éviter de trop bousculer la nature.

Il s’agissait donc de procéder au « martelage » des arbres susceptibles de nous intéresser à titres divers, c’est-à-dire, après avoir repéré ces arbres, de les marquer individuellement à l’aide notamment d’un marteau forestier.

Celui-ci ressemble à une hachette dont le côté opposé porte une marque gravée.  A l’aide de cet outil, le forestier enlève de part et d’autre de l’arbre ainsi qu’à sa base des morceaux d’écorce laissant apparaître le bois clair puis, d’un coup sec,  y imprime sa marque – ici des initiales -. Afin de rendre le marquage plus visible, un peu de peinture est ensuite pulvérisée sur les entailles. Ceci pour les arbres destinés à être coupés pour fournir du bois d’œuvre.

Les forestiers avaient apporté avec eux du matériel supplémentaire qu’ils ont distribué aux personnes présentes. L’autre outil fondamental utilisé ce jour-là était le compas forestier qui permet de mesurer le diamètre de l’arbre, avec des classes de diamètre allant de 5 en 5 (40, 45, 50 cm…). Pour ce qui est de la hauteur – celle de la partie « utile » de l’arbre -, elle était évaluée à l’œil nu. Les chiffres correspondant à chaque arbre sont soigneusement notés par l’expert.

La première parcelle visitée a été celle située sur la rive ouest du Lac de Chaumeçon, une des plus belles que nous possédions, de près de 4ha. Peuplée de hêtre, chênes, charmes, dont un certain nombre de taille respectable.  Il s’agissait avant tout de procéder à une « éclaircie », c’est-à-dire à une coupe sélective d’arbres utilisables dont le retrait permettrait de favoriser la croissance d’autres arbres – ou « tiges » – dits d’avenir. Ou, dans d’autres cas,  de privilégier une essence particulière.

Il y avait parmi nous deux jeunes charpentiers de Brassy qui, quand le bois sera commercialisé, comme nous le souhaitons, en circuit court, se proposent d’en acheter et de venir l’équarrir sur place à la hache, pratique très bénéfique pour la préservation de la forêt. Parmi les associés du groupement, il y avait aussi deux professionnels de la forêt et du bois dont les avis et les conseils venaient compléter ceux des deux techniciens.

Pendant l’essentiel de la matinée, nous avons donc parcouru méthodiquement toute la parcelle à la suite des deux forestiers qui, avec patience et précision, nous expliquaient les divers éléments à prendre en compte. Notamment la lumière. Les houppiers – partie ramifiée des arbres – ne doivent pas se faire concurrence. Mais si l’on dégarnit trop les alentours de l’arbre choisi, le terrain sera envahi de ronces ou autres végétaux.

Il faut donc d’abord apprendre à voir. Et on circule beaucoup le nez en l’air, chaque arbre donnant lieu à des conciliabules qu’il n’est pas toujours aisé de trancher.

Certains arbres sont de belle taille mais présentent tant de difformités ou sont si mal en point qu’on n’envisage pas de les couper (sauf pour des questions de sécurité). On sait maintenant toute l’importance de ces arbres, ainsi que celle du bois mort, pour favoriser la biodiversité dans une forêt. Ils sont donc marqués à la peinture rouge, tantôt par un triangle, tantôt par un E -pour Écologique- et sont appelés à finir leur vie, tranquillement, avec leurs habitants.

En lisière de cette parcelle, certains taillis ont aussi été identifiés comme pouvant être coupés en bois de chauffage et entourés d’un trait de peinture. Mais ce n’était pas l’objectif du jour.

Avant le déjeuner, direction l’autre rive du lac, vers Vaussegrois, pour accéder à une parcelle très différente, car plantée de résineux, épicéas et douglas.

De prime abord l’aspect des épicéas était tout à fait satisfaisant. Intacts, ils n’étaient pas attaqués par le scolyte, cet insecte minuscule qui décime des massifs entiers. Mais il a vite fallu déchanter : passées les premières rangées, on avait bien à faire à des arbres infectés, certains dépérissant. Le conseil de l’expert : couper et débarrasser les arbres scolytés, en allant un peu au-delà de leur zone. Si cela est fait rapidement, la contagion est réduite et le bois reste utilisable.

Quant aux douglas, pas de  problème particulier. Il s’agit, là aussi, simplement d’éclaircir le peuplement.

Toute cette journée, nous avons eu la chance exceptionnelle de voir briller le soleil, alors que nous étions arrivés, pour 8h,  dans le brouillard et pour certains, en affrontant le verglas. Cela rendait la tâche, bien sûr, beaucoup plus facile et agréable.

Après avoir déjeuné dans un restaurant de Brassy, nous avons passé l’après-midi toujours sur des parcelles de cette même commune, plus proches du bourg. Et non loin de l’étang du Vernois. Une partie est au bord de l’eau. Une autre est interrompue par une coupe rase – chez un autre propriétaire -, qui peine à se régénérer.

Là aussi, mélange d’essences, notamment de feuillus et pas mal de beaux arbres. Le travail s’est poursuivi, comme le matin, avec quelques personnes en moins, en deux groupes se rejoignant régulièrement : observer, discuter, marteler, mesurer, enduire de peinture… Jusqu’à ce que la nuit commence à tomber.

Une belle et riche journée, vraiment ! Qui rend très humble sur tous les plans.

La vie de la forêt est si complexe et les interventions humaines peuvent y bouleverser tant d’équilibres, qu’hormis si on ne considère, comme beaucoup, hélas, que la rentabilité financière, on ne peut que mesurer à quel point il faut enrichir nos connaissances et agir avec précaution.

Même s’il ne s’agit pas de se mettre martel en tête !