Maxime Jouve, écologue-naturaliste, a réalisé une étude de comptage de chauve-souris sur une des parcelles du Chat Sauvage située près du lac de Chaumeçon. Coïncidence, habitant sur le Morvan, je viens d’observer deux chauve-souris dans ma cave ! Alors découvrons vite cette étude dont nous remercions Maxime Jouve.
Premières coupes dans les parcelles du Chat Sauvage
Anouk, sociétaire du Chat Sauvage et auteure de livres sur la forêt et les métiers de la forêt, nous fait le plaisir de partager une étape importante dans la vie de notre groupement. Découvrez l’expérience vécue et de belles images de Jean-Luc Luyssen qui viendront conclure la narration.
» Dans les grandes lignes ça se passe très bien, mais on a eu quelques déconvenues sur la première parcelle » – c’est ce que nous dit Frédéric quand on arrive, samedi 27 janvier 2024.
A6 bloquée, panneaux de villages retournés tout au long de la départementale, rien qui n’effraie le Berlingo blanc de Polska, coup de clochette à chaque redémarrage. Un grand soleil et un chaleureux accueil nous attendent à Brassy.
« On », c’est trois générations de femmes aux noms polonais, un pied artiste à Paris, un pied forestier dans le Morvan. Venues quelques jours à l’occasion du chantier de bûcheronnage pour mieux connaître nos parcelles, mieux comprendre ce qu’on y fabrique, rêver à ce qu’on pourra y faire ou ne pas y faire dans le futur.
Travail en cours
Rapidement Frédéric nous emmène au chantier à la Come-au-blanc, Unité de gestion n°2 (UG2) dans le Plan Simple de Gestion (PSG), parcelle de type 1, c’est-à-dire une futaie feuillue, chênaie-hêtraie acide, coupe prévue pour 2023. On est presque à l’heure. Dans le PSG, ça se présente comme ça : « Ce peuplement sera conduit en futaie irrégulière. Le premier passage devra sélectionner les tiges d’avenir de chêne et hêtre, par élimination des brins concurrents ou co-dominants. Le chêne sera préférentiellement conservé au détriment du hêtre dont la croissance est plus forte. Une part d’essences diverses devra être conservée afin de maintenir la diversité de l’écosystème. Ces conditions de prélèvement laisseront un peuplement toujours dominé par les bois moyens et gros bois mais les trouées générées devraient favoriser le développement de la régénération naturelle. (…) La rotation des coupes sera fixée à 12 ans avec un prélèvement inférieur à 20 % du volume bois d’oeuvre. »
Le véhicule des bûcherons de Loire-Atlantique est en bas du bois, qui est d’abord celui du voisin. On suit les traces des chevaux sur le chemin boueux, il a plu dans la semaine, pas toujours marrant. Au bout de quelques minutes on tombe sur des belles grumes marquées CB à la bombe fluo, CB comme Carte Bancaire ? Non, pas le genre de la
maison, mais Coopérative Bocagère. On entend les tronçonneuses au loin, les gars sont dans les parages, et nous on se dit tiens, on est chez nous. On rencontre d’abord Christophe le débusqueur, avec ses deux chevaux de trait Pompon et Frégate : un Ardennais de quatorze ans au crin sombre, et une Comtoise de 8 ans à la crinière blonde. Il paraît que Pompon est plan-plan, autrement dit flegmatique mais stable, tandis que la jument est fougueuse et moins constante. Christophe les guide tout doucement, il leur parle en français (à gauche, à droite) et en onomatopées de type oyo ou ayaya pour dire stop ou on y va. La démonstration est bluffante : un coup de collier synchronisé et le bois glisse sur le sol, accroché à une chaîne. Si la grume est plus conséquente, il y a le trinqueballe : un petit char à deux roues sur lequel l’on arrime. Et si ça ne suffit pas, le débusqueur met en place un système de mouflage avec cordes et poulies, qui, fixées à l’aide de sangles autour de solides troncs de hêtres, démultiplient la force de traction des chevaux. Ancestralement futé.
On retrouve les trois autres bûcherons en contrebas, Camille, Sam et Nolig, autour d’un hêtre couché de 40 cm de diamètre – ah c’est vous les actionnaires ! Ils nous racontent les petites déceptions du début de semaine, environ 80% de bois roulés dans la parcelle du bas, celle de Chaumeras. Ça pourra partir en planches ici mais pas en charpente chez eux, à Notre Dame-des-Landes. La roulure, c’est une fente tangentielle dans le duramen, autrement dit des cernes qui se décollent dans le bois de coeur, ce qui diminue ses propriétés mécaniques, et donc sa valeur économique. On ne sait jamais vraiment à quoi elle est due : ça peut être génétique, ça peut aussi venir de l’acidité du sol qui créerait une carence en calcium. Dans le cas d’un taillis qu’on convertit en futaie, une éclaircie tardive peut provoquer ce type de décollement, à cause d’une entrée de lumière trop vive, accélérant la croissance trop violemment. Mais ça, ça n’est pas visible depuis l’extérieur, alors on devra bien s’accommoder de s’être fait rouler par la forêt, qui ne laisse pas vendre ses fûts si facilement.
Le lendemain on va se promener dans le bois en question, celui de Chaumeras, qui donne sur le lac de Chaumeçon. UG1 sur notre PSG, coupe prévue pour 2022. Presque à l’heure. Grand soleil encore. On observe de nos propres yeux les roulures sur les grumes au sol : dommage. D’autres se présentent mieux, taguées CB sur la tranche. On repère un arbre marqué mais laissé sur pied, parce qu’on y a observé un trou de pic entre temps. Le martelage a été fait il y a deux ans, il était devenu peu visible, alors on a repassé des coups de fluo plus récemment, en vue de la coupe. Ça nous a laissé un droit de regard supplémentaire, et quelques oublis. Nos forestiers de la ZAD ont l’habitude de se laisser ce choix du dernier moment, abattre ou ne pas abattre, ne pas devenir des machines. Ça ralentit un peu le processus, ça le rend aussi plus intéressant. Être bûcheronne, c’est faire marcher à la fois ses bras, sa tronçonneuse, et sa tête.
Un samedi soir au Carrouège : focus sur la Coopérative Bocagère
Tout cela, ils nous l’expliquent posément le samedi soir au Carrouège, carrefour en patois local, où nous attendent les membres d’Adret Morvan et quelques habitué·e·s. Parmi les acquis à Notre Dame-des-Landes, il y a eu la reconnaissance du Plan simple de gestion de la forêt de Rohanne, racheté par le Conseil départemental, officiellement propriétaire du lieu. L’ONF a reformulé quelques phrases avant d’y apposer sa signature, mais c’est bien le collectif Abrakadabois qui l’a conçu, pendant les années d’occupation2. La gestion tripartite actuelle n’est pas sans embûche : dès la première phase, le martelage, des désaccords se sont manifestés autour de l’épineuse question de la bombe ou du marteau. Les bûcherons étaient contre le marteau, qui en écorçant le tronc, l’abîme, et annule la possibilité de rétractation. De plus, le seau de l’ONF incarne un pouvoir étatique que les forestiers du bocage ont du mal à voir se dessiner sur les arbres qui ont abrité leurs années de lutte. C’est donc avant tout un affrontement symbolique qui se joue ici, entre deux entités collectives aux principes structurels opposés. D’ailleurs, dans de nombreuses autres régions, les agent·e·s de l’ONF préfèrent utiliser la bombe de peinture, dont l’application est bien moins fatigante que le coup de marteau. Peut-être trouveront-ils et elles un point d’accord avec le rol’ink et sa peinture nontoxique1 ? Pour l’instant, nous disent les bûcherons, c’est à eux que sont confiés les chantiers du Bois de Rohanne. Ce pouvoir qu’ils ont acquis se loge dans leur intransigeance-même : à tout moment, ça peut péter. Or, l’État n’y aurait aucun intérêt : sa mission est de montrer à tout le monde que la situation est normalisée, qu’il ne se passe plus rien à Notre Dame-des-Landes. Pour autant, la Compagnie Bocagère n’a aucune garantie pour l’avenir. Ils se contentent de faire des offres qu’ils ne pourront pas refuser, avec le sourire. Techniquement, ils forment une SCIC – prononcer skik –, une société coopérative d’intérêt collectif. Elle regroupe différents corps de métiers et des adhérents non producteurs, comme le ferait une association. Une compta commune mais aussi des comptas séparées. Une partie des productions part à la vente et les revenus paient le matériel, l’autre partie est dédiée à l’auto-consommation. Au bout de cinq ans, les bûcherons ne se paient pas, mais c’est doucement en train de changer. Ce qu’ils défendent et continueront à défendre, c’est le droit d’usage. L’ACCA (Association Communale de Chasse Agréée), par exemple, était là avant eux. Alors les chasseurs chassent. Ça ne les empêche pas de discuter ensemble, de chercher des accords. Rien n’est jamais figé dans les gestions collectives. Un jour, nous raconte l’un des bûcherons, il y a même eu une ZAD dans la ZAD, car une partie des occupant·e·s refusaient de couper des arbres. Cela rejoint les préoccupations de membres de notre propre groupement, pour qui le fait d’ôter la vie à des êtres végétaux ne va pas de soi. Celles et ceux pour qui le coup de tronçonneuse restera toujours trop rapide, trop brutal. Ce sont des sensibilités qui se confrontent. Et en se confrontant, font aussi front ensemble. Pour le respect des forêts, de ses cimes et de ses sols, de ses eaux et de ses animaux. Parmi ces derniers, nous-mêmes, qui utilisons le bois. Qui, avec l’argent des arbres abattus avec soin, pourrons maintenir l’activité du groupement, pour épargner des parcelles d’un enrésinement mortifère. Nous réunir autour des bois, dans les bois. À la question de l’animisme, les gars du bocage rigolent. Les anthropologues et sociologues, bientôt plus nombreux·ses qu’eux, plaquent parfois leurs fantasmes. Eux, les bûcherons, font simplement les choses consciemment. Toujours l’hiver, hors-sève et en lune descendante, comme le faisaient les anciens. Adossés à l’arbre, les mains en prière, de haut en bas, visualisant le parcours de la chute. Ajustant la direction selon le poids supposé des branches et les obstacles. Rien d’ésotérique, c’est un rituel technique.
Une concentration. Une manière d’être arbre peut-être, mais un arbre qui choit. En toute humilité.
Fin de chantier
Les jours suivants, le trinqueballe se renverse souvent à la Comme-au-blanc. Les zones pentues donnent du fil à retordre à l’équipage. Irène, maraîchère rencontrée au Carrouège, vient prêter main forte. À force de patience, les grumes sont remontées sur le chemin. Une à une, ne laissant quasiment aucune trace derrière elles, si ce n’est quelques crottins qui viendront enrichir le sol. Pendant ce temps-là, les trois bûcherons terminent leurs coupes.
Les journées sont ponctuées de repas partagés – merci à Maty pour son excellent yassa, et aux poulets sacrifiés de Loire-Atlantique –, de conversations et de rires, de morceaux d’accordéon en italien qui ont traversé l’Europe de l’Est, de visages au soleil et manches retroussées.
On poursuit nos visites de parcelles, aussi. La hêtraie à houx en pente légère d’Ouroux, avec ses quelques chênes et ses sources, à la tombée de la nuit. L’ancienne coupe rase de Huis Guyollot, sur le bord de la voie romaine vers chez Ariel, où repoussent en masse les bouleaux, éternels pionniers. Germent des idées de cabanes, de spectacles. De longues marches solitaires, de nuits dans les bois. Nos forêts sont multifonctionnelles, on ne l’oublie pas.
Bilan
Côté chiffres, ça donne ça : environ 50 m³ de chênes et 60 m³ hêtres (40 m³ à Chaumeras, principalement du chêne, et 70 m³ à la Comme-au-blanc), représentant en tout un volume de 110 m³ de bois d’oeuvre, et autant en bois de chauffage. Dix jours passés sur place et un peu plus de 1000 km parcourus par les bûcherons, puis par le grumier qui viendra chercher le tiers de la récolte, chêne exclusivement. C’était le parti pris d’un travail bien fait et de rencontres enrichissantes, mais aussi d’une opération financièrement non-rentable. Le Conseil Régional Bourgogne Franche Comté nous allouant une subvention de 3800€ pour compenser le surcoût généré par une pratique vertueuse et respectueuse des sols, nous sommes proches de l’équilibre. Mais il est précaire. Nous aimerions, à l’avenir, pouvoir allier qualité du travail et des bois, et viabilité financière. Nous avons encore du chemin à faire dans la structuration de notre filière bois locale, et notamment des débouchés à trouver pour le hêtre : le chantier est lancé. Pour l’heure, une petite partie seulement sera traitée en local. Mais le vrai bilan revient aux travailleurs, que nous remercions encore :
« En plus de la valeur intrinsèque certaine d’une collaboration entre deux entités issues de luttes victorieuses contre des grands projets inutiles, nous, l’équipe de la filière bois de la Coopérative Bocagère, avons tous été très heureux de travailler dans les forêts du Chat sauvage.
Travail intéressant, beau cadre, beaux arbres, belles rencontres et découverte du Morvan pour la plupart d’entre nous. Nous avons travaillé avec tout le soin que nous sommes capables de prendre et nous espérons que l’ensemble des membres du chat sauvage, des professionnels qui gravitent autour ainsi que les locaux sauront le voir. Nous allons ramener environ 33m³ de votre bois chez nous et nous serons ravis de raconter son histoire aux personnes qui feront leur charpente avec. Il est probable que nous destinions un beau morceau a être mis en valeur sur l’une de nos infrastructures à Notre-Dame-des-Landes avec une dédicace au chat sauvage dessus.
Au plaisir de revenir travailler dans le Morvan,
L’équipe des bûcherons et débusqueurs de la Coopérative Bocagère. »
Pour aller plus loin :
1 Le rol’ink non-toxique pour le marquage des arbres : https://france3-
regions.francetvinfo.fr/grand-est/vosges/epinal/video-sa-peinture-non-toxique-permetaux-
agents-de-l-onf-de-marquer-les-arbres-sans-danger-2859905.html
2 Reportage dessiné d’Hélène Copin, sur un chantier de bûcheronnage à la ZAD en
2020 : https://copindesbois.fr/alternatives-forestieres/zad/
Toutes les photographies présentées dans cet article sont de Jean-Luc Luyssen que nous remercions
Un regard d’expert après une visite de parcelles
Le texte ci-dessous a été rédigé par Philippe Canal, technicien à l’ONF, suite à la visite de parcelles du Chat Sauvage. Philippe est aussi sociétaire et nous le remercions en retour de partager son regard sur quelques parcelles du groupement.
Le 26 avril Frédéric Beaucher gérant du groupement m’a fait visiter deux parcelles du groupement dans le cadre d’un repérage pour un reportage de la Chaîne Parlementaire.
Dans le bois de Chaumeras au bord du lac de Chaumeçon (une vraie carte postale !), nous avons parcouru un beau peuplement feuillu mélangé (hêtre, chêne, charme, merisier …) relativement homogène. La parcelle vient de passer en exploitation et ce qui frappe au premier regard c’est la qualité de réalisation tant de l’abattage que du débardage : quasiment pas d’arbres blessés et des sols indemnes alors qu’un volume conséquent a été « sorti » au cœur d’une saison copieusement arrosée. Tout a été mis en œuvre pour protéger le sol : ouverture préalable de cloisonnements d’exploitation équidistants sur lesquels les passages d’engins ont été cantonnés, débusquage des bois abattus en bordure de ces cloisonnements par deux chevaux et leur conducteur, choix d’intervenants (bucherons, débusqueur, débardeur) respectueux des consignes et aimant manifestement le travail bien fait, gros suivi de chantier par Frédéric ce qui a permis de faire intervenir le tracteur de débardage en période optimale. Sans oublier le soutien du Conseil Régional de Bourgogne-Franche Comté pour financer en grande partie la traction animale, mode de débardage le plus respectueux des sols. Le résultat est exemplaire. Le martelage a permis un travail dans les étages occupés par le taillis et la futaie au bénéfice d’arbres présentant un bon compromis vigueur/qualité. D’intensité modérée la coupe étage verticalement le couvert et améliore ainsi l’ambiance lumineuse indispensable à la réussite d’une gestion en irrégulier. Et puis au-delà des aspects techniques, c’est simplement beau et tellement agréable à arpenter.
Dans le bois de la Come au blanc, nous avons visité un peuplement différent, plus hétérogène alternant futaies assez denses de hêtres, chênes et châtaigniers dépourvues de taillis, trouées ouvertes au stade pionnier où le bouleau prospère peut-être causées par des coups de vent ainsi qu’une jeune plantation de Douglas de 2 hectares. Le peuplement a bénéficié des mêmes interventions que le précédent avec la même qualité d’exécution. La coupe s’est concentrée dans les zones de futaie dense dans lesquelles elle a permis de réduire un peu la densité en cherchant à rééquilibrer au profit de chênes épars un mélange fortement dominé par le hêtre. Les trouées sont pour le moment laissées au repos. La jeune plantation de Douglas heureusement incomplète comporte de ce fait un recru feuillu intéressant en termes de mélange d’essences. Une réflexion est en cours pour déterminer l’intervention la plus adaptée pour améliorer sinon pérenniser le mélange résineux/feuillus existant avant que la dynamique du Douglas ne lui porte atteinte. Une parcelle mosaïque de peuplements différents très intéressante.
Frédéric, merci pour tout.
Texte de Philippe Canal, technicien à l’ONF
BIODIVERSITĖ EN FORÊT
Visite d’observation sur une parcelle du Chat sauvage
Texte de Danielle Bergeron
Photographies de Inès Levy
Dimanche 6 novembre 2022
Le rendez-vous était fixé à 14h30, au Pont des Bruyères, tout au bout du Lac de Chaumeçon, près de Brassy (Nièvre).
Nous étions une vingtaine à rejoindre Maxime Jouve, écologue du Conservatoire des espaces naturels de Bourgogne qui, le matin déjà, lors de l’Assemblée générale du Chat sauvage était venu présenter son travail de comptage des chauve-souris sur une des parcelles du groupement. Passionnant.
Nous avons longé en file indienne, pendant une bonne vingtaine de minutes, le sentier qui surplombe la rive du lac pour atteindre une des plus belles parcelles que possède le groupement et où ont eu lieu cette année les premières coupes de bois.
En chemin, nous nous sommes arrêtés au bord d’une plantation de résineux, des douglas (ou pin d’Orégon) que l’on trouve désormais partout dans le Morvan. « Un exemple de ce qu’il ne faut pas faire », a dit Maxime, avant de nous expliquer les différentes strates qui composent le sol, comment les couches supérieures issues de la décomposition des feuilles mortes sont différentes de celles que ne couvrent que des aiguilles et ce qu’il advient quand une plantation monospécifique et équienne (tous les arbres ayant le même âge) est coupée à blanc.
La qualité du sol est extrêmement importante puisqu’il sert à l’arbre à la fois de support et de source de nourriture. Et les sols sont fragiles, longs à se reconstituer, ce qui parfois s’avère impossible tant ils sont dégradés.
Par ailleurs, une parcelle diversifiée peut abriter par exemple 15 ou 20 espèces d’oiseaux, là ou une plantation monospécifique n’en aura que 4 ou 5.
Très vite, nous sommes repassés dans un bois de feuillus et la différence non seulement entre les arbres, mais entre ce qu’on trouve dessous saute immédiatement aux yeux. Et quelle sensation de bien-être et de soulagement!
Arrivés sur la parcelle du Chat sauvage, Maxime nous a rappelé que nos milieux forestiers abritent environ 900 espèces végétales, 50 % des coléoptères, 75% des fonges, etc. On y dénombre jusqu’à 450 types de micro-habitats.
Puis notre guide a orienté notre observation vers ce qui permet d’estimer la biodiversité présente dans cette forêt.*
Il faut regarder notamment :
•Les différentes essences d’arbres autochtones: chêne sessile, charme, bouleau, hêtre…. Leur diversité garantit qu’un plus grand nombres d’espèces peuvent y vivre. Leurs dimensions sont également importantes, car la variété d’habitats en dépend.
•La structure de la végétation avec ses différents étages -herbacé, arbustif, arborescent- abritant chacun des espèces particulières.
•La présence de bois morts, essentielle, car ils abritent 30% de la biodiversité forestière, qu’il s’agisse d’animaux, de végétaux, de bactéries ou de champignons. Ces bois peuvent être tombés au sol (chablis). Il peut aussi s’agir d’arbres chandelles, c’est-à-dire morts sur pied.
•Les arbres présentant un intérêt écologique, marqués d’un E et ou d’un triangle lors du martelage -marquage des arbres- effectué avec l’expert forestier qui a élaboré le plan de gestion.
Ce sont souvent de gros et vieux arbres où peuvent loger et prospérer de nombreuses espèces, grâce à leurs «dendro-microhabitats » : trous de pics, cavités diverses, écorces décollées, etc.
Nous avons ainsi pu ainsi constater qu’un troglodyte mignon avait fait son nid dans la plaie cicatrisée d’un chêne et apprendre que non seulement les insectes mais aussi les petites chauve-souris trouvent refuge sous les écorces. Et qu’elles changent de gîte chaque nuit.
Pour ces arbres, parfois appelés « bio » par les forestiers, les recommandations devenues habituelles d’en conserver un par hectare ne semblent pas suffisantes. Chaque arbre est un écosystème à lui tout seul.
•La présence d’animaux, leur nombre, la diversité des espèces témoignent bien sûr de la santé de la forêt. D’où l’importance d’effectuer des suivis, sur de longues périodes, comme pour les chauve-souris.
En contrepoint des indications de Maxime, Frédéric Beaucher, gérant du groupement, est également intervenu pour résumer les caractéristiques de la sylviculture choisie par le Chat sauvage : la gestion en futaie irrégulière et ses différentes phases mise en oeuvre sur la parcelle visitée.
Il a décrit l’expert forestier, chargé de décider -lors du martelage- ce que va devenir chaque arbre, comme un « expert de la lumière ». Lorsqu’on procède à des éclaircies, on coupe certains arbres pour permettre à d’autres de se développer pleinement. Maxime avait d’ailleurs évoqué la « guerre pour la lumière » que se livrent les arbres.
D’autre part, pour sortir les arbres coupés, il faut créer des cloisonnements, c’est-à-dire des passages (tous les 20 ou 30 m dans les plantations régulières, ce qui n’est pas le cas ici) afin de protéger le reste des sols. Dans cette parcelle, ceux qui ont été ouverts sont quasiment indécelables pour un oeil non averti.
Les premiers arbres coupés cette année l’ont été pour du bois de chauffage, mais aussi du bois d’œuvre (chêne). Celui-ci, vendu à un jeune charpentier voisin, a été équarri sur place à la hache -les déchets, n’étant pas exportés, viennent enrichir le sol- et débardé à cheval.
Cet après-midi passé en forêt, outre l’agrément toujours renouvelé d’être au milieu des arbres, nous a permis de mieux comprendre la complexité de l’écosystème forestier et de mesurer l’importance d’en tenir compte dans le type de gestion appliqué.
*Il existe désormais un outil, l’Indice de biodiversité potentielle (IBP), mis au point par le CNPF (Centre national de la propriété forestière) avec l’aide de divers organismes publics pour aider à cette estimation. Il est accessible à tous, par exemple ici : https://www.cnpf.fr/nos-actions-nos-outils/outils-et-techniques/ibp-indice-de-biodiversite-potentielle
Passage du Groupement à la phase terrain
Article proposé par Christian Martin – Expert Forestier au sein du Groupement du Chat Sauvage
Après plusieurs années d’acquisition de parcelles forestières et de mise en place de ses structures, le groupement forestier du Chat Sauvage est passé (lentement) à la phase de terrain. Fort du soutien de centaines de donateurs à travers le monde, de multiples sympathisants réunis en assemblée générale en octobre 2020, d’un enthousiasme et d’une bonne humeur de bon aloi, plusieurs personnes se sont regroupées pour tenter de mener à bien la mise en valeur des bois Chat Sauvage, toujours dans une vision naturaliste.
Et la tâche s’annonce parfois ardue tant les parcelles ont subi soit l’abandon, soit les coupes sauvages, soit un enrésinement sans lendemain.
Le petit groupe étant plutôt novice dans la connaissance forestière, quelques sorties sur le terrain ont permis de donner des bases en botanique, sylviculture et gestion des coupes.
La visite et la reconnaissance des parcelles est un préalable obligatoire pour bien en situer les limites, l’environnement, l’état des peuplements et leur avenir. La plupart, à part quelques-unes, ont été parcourues par plusieurs membres (voir article sur le marquage des parcelles).
Matériel :
Pour mener à bien cette tâche, l’achat de matériel de base a été décidé : bombes de peinture, un compas forestier pour la mesure des diamètres, appareil GPS pour la géo-situation.
Le groupe peut compter sur un télémètre laser Trupulse 200, un compas forestier, des mètres-ruban de 50 m, relascope de Bitterlich, griffe-rainette, bombes de peinture, Flore Forestière Française, feuilles de cubage, tronçonneuses, coins, tourne-bille, outils divers (Christian Martin).
Plans simple de gestion :
Confiés au cabinet d’expert forestier SUSSE en 2021, ils ont été rendus en retard, en mars 2022. Un martelage avec mesures d’arbres à exploiter a eu lieu entre l’expert et le groupe en décembre 2021
Coupes et travaux :
Toutes les parcelles étant sans entretien depuis longtemps, elles sont toutes plus ou moins urgentes ou importantes en travaux. Les plans simples de gestion nous ont donné un programme.
La parcelle de Chaumeçon (0849) : assez facile d’accès, très intéressante par sa situation et la valeur de ses arbres. Des cloisonnements d’exploitation ont été mis en place puis exploités par des acheteurs de bois de chauffage, membres du Chat Sauvage.
5 chênes, martelés en décembre, ont été vendus à des particuliers qui les ont équarris sur place.
La parcelle de Chaumeçon plantation résineuse (épicéa et douglas) de 45 ans environ: accès long et assez difficile, jamais éclaircie et scolytée par endroit. Achat, coupe et sortie des bois effectués par un membre du Chat sauvage (Nicolas). Volume : 13,206 m3
La parcelle de Brizon (0972) : accès un peu long, mais intéressante par la valeur de ses arbres. Bois de chauffage vendu à un membre du Chat sauvage (Nicolas)
Les parcelles de Marigny-l’Eglise (0146-0149) particulièrement intéressantes pour leur diversité et leur richesse, ont été l’objet d’une visite et étude conjointe par le CRPF de Bourgogne et des membres du Chat Sauvage en avril 2022.
Divers :
Depuis février 2022, les membres du groupe se contactent chaque mois par visioconférence pour partager toutes les informations, prévoir les actions sur place ou se répartir les tâches : sont évoqués, entre autres, urgemment, la recherche d’artisans du bois et acheteurs locaux susceptibles d’être intéressés par la démarche du Chat Sauvage.
– En juin 2022, deux membres du groupe (Frédéric Beaucher et Christian Martin) ont participé à une réunion du Conseil Général de la Nièvre sur les « conséquences du changement climatique sur la forêt ». Ont été présentés les actions du Chat Sauvage (Frédéric Beaucher) et la gestion des forêts en sylviculture naturaliste (Christian Martin). Les réactions et les retours ont été très positifs.
– Le 21 juin 2022 : Participation à la création et la réunion d’un groupe de travail et de valorisation du « Châtaignier, bois et fruit», à Bibracte. Le châtaignier, essence très présente mais sous-estimée avec un fort potentiel dans le Morvan. Deux membres du groupe (Frédéric Beaucher et Christian Martin) ont participé.
– Le 4 juillet 2022 : après un premier contact dans sa scierie en juin, rencontre très sympathique sur nos parcelles forestières avec Tobias Muthesius et Alaïs, concepteurs et fabricants de charpente bois à Chissey-en-Morvan.
Christian Martin – 10 août 2022
Une belle journée de mai de marquage de parcelles
En ce jeudi 26 mai 2022, nous avions rendez-vous devant l’église de Montsauche pour aller marquer les limites de plusieurs parcelles du Chat Sauvage. Après quelques minutes d’attente, je commençais à me demander si j’avais bien compris le rendez-vous. Un grand inconnu me fait signe et surprise c’est Christian Martin qui est venu me chercher pour me mener sur la rue principale où Jean-Pierre Renault que je ne connaissais pas non plus nous attendait.
Tout de suite, nous commençons par les choses sérieuses, avons-nous tout ce qu’il faut pour le casse-croûte ? Pas vraiment de mon côté, heureusement l’épicerie toute proche est ouverte. J’ai vite vu que j’avais affaire à des spécialistes avec non seulement du ravitaillement mais aussi cartes, serpe bien aiguisée, casquette sur la tête, petit couteau, sac à dos et pour Christian le livre de la flore forestière française. Une vraie bible comme je l’ai découvert.
Et nous voilà partis jusqu’au pont de la Cure en bas de Palmaroux près de l’ancien gîte, pour celles et ceux qui connaissent. Je vois tout de suite que nous aurons une très belle journée riche en découvertes ! Moi, plein de questions car je ne connais pas grand-chose. Christian nous décrivant patiemment et dans le détail les plantes dont la première est une espèce invasive qui envahit tout ! Et Jean-Pierre qui, petit à petit, nous conte écrits ou rencontres théâtrales du côté d’Anost et de bien des endroits !
Venons-en aux parcelles, d’abord, il faut les trouver ! La première est au bout d’un chemin qui finit sur une culture de fraises que nous avons évidemment goutées (j’ai appris après que nous étions filmés, heureusement que nous n’avons gouté qu’une fraise !).
Ensuite, heureusement que Christian et Jean-Pierre ont l’œil, qui sur le plan et qui sur le détail qui nous guide, un fossé, un muret, un ancien chemin tout couvert de fougères et de houx.
Nous sommes enfin sur la parcelle ce que confirme le GPS du téléphone mobile quand il veut bien dire où nous sommes. Vivement, le GPS sensible que le groupe a commandé et qui doit arriver !
C’est alors que toute l’expérience forestière de Christian est à l’œuvre avec une description des essences, du hêtre majestueux au houx dont j’ai appris qu’il faisait d’excellents manches d’outils, en passant par le saule marsault (rapidement confondu avec le meursault !) aussi appelé saule des chèvres (salix caprea). Je vous avais bien dit qu’on apprenait beaucoup de choses ! Le terrain est assez humide avec une source sur le haut avec une sorte de lavoir ou abreuvoir très bien caché sous d’épaisses couches végétales et … les pieds qui s’enfoncent dans la vase…
On en oublie vite de marquer les limites du terrain et que nous avons plusieurs parcelles à visiter, tant il y a à voir.
Passons à la prochaine parcelle qui est au-dessus des tourbières de Champgazon. Celle-ci est plus facile à trouver car le long d’un chemin bien marqué et même sur le GR 13.
Cette parcelle est étonnante par sa diversité intrinsèque. Le long du chemin, elle est impénétrable alors on en fait le tour. Sur la bordure haute, grâce aux observations de Jean-Pierre et Christian, j’ai pu comprendre qu’elle a visiblement été éclaircie du fait d’arbres qui se sont couchés depuis une parcelle en vis-à-vis visiblement. Le lieu est propice pour un petit arrêt tellement il est agréable ! Cette fois ci, de nouveaux des saules marsault, on en a vu un de belle taille cassé en son milieu comme cela semble arriver souvent à cet arbre (encore une information apprise ce jour-là merci Christian !). Autant sur la bordure du haut, la parcelle a été éclaircie et agréable pour une pause et une promenade autant le reste de la parcelle est une succession d’essences variées et laissées en libre évolution sans arbre d’aussi belle apparence que sur la parcelle précédente. On y trouve aussi des charmes, des conifères avec quelques douglas mais surtout des épicéas. Le plus frappant concerne ces épicéas très fins et très hauts, assez resserrés. J’ai appris que c’était probablement une zone destinée à la production de sapins de Noël qui n’ont pas trouvé preneur et sont restés sur pied. Nous avons vu plusieurs zones sur diverses parcelles ainsi végétalisées. Cela donne des troncs fins (des « crayons ») dont certains sont brisés à mi-hauteur et d’autres couchés et à moitiés retenus par des feuillus en bordure ou d’autres sapins. On pourrait peut-être en faire des piquets à ce que j’ai compris mais pas bien plus. Enfin plus bas, nous retrouvons quelques jolis hêtres avec leur parterre rougis par leurs feuilles.
Et nous voilà partis vers la dernière parcelle de la journée !
Celle-ci aussi a besoin d’être retrouvée car cachée au milieu d’autres bois. C’est une belle hêtraie avec quelques chênes. Nous en avions vu avant mais moins qu’ici. Et stop ! Au milieu se dresse bien droit et assez jeune (20 ans) un châtaignier, l’unique spécimen de la journée. Jugé en bonne santé, pas atteint par la maladie de l’encre, il a ajouté le plaisir d’une rencontre inattendue à celui de la promenade. Cette parcelle a une forme difficile à circonscrire sur le terrain. Elle est bordée par un chemin pas évident à trouver, par un cours d’eau tout aussi difficile à trouver, mais que la lumière est belle !
Voilà, autant vous dire que si, on doit refaire des visites de parcelles, je recommande à chacune et chacun de vous d’y aller. C’est un vrai plaisir !
Merci à Jean-Pierre et Christian pour cette très belle journée.
Malik